Bonjour tout le monde !
|
Socrate, auteur des
premiers arguments théistes |
|
A-travers les siècles
d'histoire de la philosophie, de nombreux raisonnements logiques très
divers ont été développés afin de démontrer l'existence de
Dieu : les arguments théistes. Les premiers à avoir formulé
de tels arguments étaient les 3 grands philosophes de la Grèce
antique, Socrate Platon et Aristote, pour qui Dieu, qu'ils voyaient
comme un être absolu en tout point, était nécessaire au
fonctionnement du monde. Peu usités par les chrétiens des premiers
siècles (surprenant d'ailleurs), ces arguments ont ensuite été
repris au Moyen-Âge par des théologiens musulmans (Averroès,
Al-Kindi...), puis chrétiens (surtout Thomas d'Aquin), avant d'être développés par des philosophes théistes ou déistes comme
Leibnitz, Descartes, Voltaire et Kant. Par contre, ils semblent n'avoir jamais eu une grande importance dans la pensée philosophique chrétienne et apparaissent peu chez les plus grands philosophes chrétiens comme Augustin, Pascal ou Kierkegaard. Ils ont cependant toujours joué un rôle très
important dans la théologie catholique jusqu'à aujourd'hui. La Réforme
protestante les a généralement mis de côté en insistant sur la
Révélation, par opposition à la raison, comme base de la foi, mais
les arguments théistes reviennent sur le devant de la scène
aujourd'hui dans la pensée de plusieurs apologètes évangéliques
contemporains (Alister McGrath, Ravi Zacharias, etc). Alors, j'ai eu
envie de consacrer moi aussi un article sur mon blog à ces
arguments.
Lire la suite
L'argument
ontologique, ou argument de l'essence
Cet
argument, énoncé pour la première fois par le théologien
catholique médiéval Anselme de Canterbury puis repris notamment pas
Descartes, veut établir l'existence de Dieu par la seule analyse de
son essence, de ce qu'il est, au contraire des autres arguments
théistes qui reposent sur l'observation du monde, c'est pourquoi je
le mets en premier même s'il n'est pas le plus important.
L'argument
consiste à montrer que la nature même de Dieu implique forcément
son existence. Pour résumer : Dieu, par définition, est un
être infini et parfait ; s'il était inexistant, il ne serait
plus parfait ; donc, il doit forcément exister.
Le
raisonnement d'Anselme de Canterbury : Dieu est un être
parfait, infini, sans aucune limite. L'esprit humain est capable de
concevoir un tel être infini et il lui donne le nom de Dieu. Or, un
être qui existe dans la réalité du monde est plus grand, plus
parfait, qu'un être qui existe seulement dans l'esprit humain. Donc,
un tel être infini doit forcément exister dans la réalité.
Le mathématicien et logicien autrichien Kurt Gödel, un ami d'Einstein, connu surtout pour son théorème d'incomplétude, a proposé une reformulation de l'argument ontologique en langage mathématique : la preuve ontologique de Gödel. Il n'a fait circuler ce travail que parmi ses connaissances et ne voulait pas le publier, de peur qu'il ne soit interprété à tort comme une tentative de preuve finale de l'existence de Dieu.
Cet
argument repose de toute évidence sur un sophisme et peut être
facilement réfuté : si Dieu n'existe pas, alors il n'est
évidemment pas parfait ni infini et tout le raisonnement s'effondre.
L'argument a donc été très souvent critiqué, notamment par
Emmanuel Kant et même par Thomas d'Aquin, qui répond que l'esprit
humain, dans sa finitude, n'est pas capable de comprendre l'infinité
de Dieu. Pourtant, malgré toutes les critiques, l'argument
ontologique continue de fasciner les philosophes, qu'ils l'acceptent
comme valide ou non. Le philosophe gallois Bertrand Russell, un des
plus grands penseurs athées du 20° Siècle, a dit au sujet de cet
argument : « Il est plus facile d’être
convaincu que l’argument doit être fallacieux que de trouver
précisément où repose l’erreur. » La preuve ontologique a récemment été revalorisée par le philosophe américain contemporain Alvin Plantinga.
L'argument
téléologique, ou argument du dessein
|
Voltaire |
Cet
argument est certainement l'argument théiste le plus connu. Sa
formulation la plus célèbre est celle de Voltaire, connue sous le
nom d' « argument de l'horloger ».
Selon
cet argument, l'existence même de l'Univers, la complexité de son
fonctionnement et l'équilibre qui le régit, sont la preuve de
l'existence d'une intelligence créatrice, dont l'action créatrice a
un but. Tout ce qui
existe et dont le fonctionnement est régi par un mécanisme précis
a forcément été conçu par une intelligence créatrice ; or,
l'Univers existe et fonctionne selon les lois de la nature ;
donc, l'Univers a nécessairement été conçu par une intelligence
créatrice, dans un but.
Voltaire, qui s'inspire du philosophe chrétien anglais William Paley,
explique que si un jour, en se promenant, il trébuche sur une pierre
et se demande ce qu'elle fait là, on pourrait lui répondre tout
simplement que cette pierre a toujours été là, que c'est l'endroit
où elle se trouve naturellement. Par contre, s'il trouve une horloge
par terre, la réponse à la même question sera différente :
c'est qu'il a forcément du y avoir, à un moment donné et en un
endroit donné, un horloger qui a fabriqué cette horloge. Sans cet
horloger, l'horloge ne pourrait pas exister. Même si l'horloge est
abimée, qu'elle fonctionne mal, nous savons tout de même avec
certitude qu'elle a été conçue par un être intelligent
(l'horloger) dans un but précis (montrer l'heure). De même que
l'existence de l'horloge prouve l'existence d'un horloger qui l'a
conçue, de même l'existence de l'Univers prouve celle d'une
intelligence qui l'a créé. Voltaire conclut son argument par sa
célèbre formule : « L'Univers m'embarrasse et je
ne puis songer Que cette horloge existe et n'ait point d'horloger. »
Cet
argument a été de plus en plus mis en avant avec les découvertes
scientifiques modernes, notamment en physique, sur la complexité du
fonctionnement du monde et le réglage fin et précis des constantes
physiques nécessaires à l'apparition de la vie. Il balaie d'un
revers de main l'idée selon laquelle le progrès scientifique a
rendu caduque l'idée de Dieu : avec cet argument, au contraire,
plus la science progresse, plus notre compréhension du monde
augmente, plus il devient infiniment probable qu'il y a un Dieu qui
l'a créé.
Les arguments
cosmologiques
|
Thomas d'Aquin |
L'argument
cosmologique, sous ses diverses formes, trouve son origine chez les 3
grands philosophes athéniens, Socrate, Platon et Aristote. Il a par
la suite été abondamment repris, notamment Thomas d'Aquin. Il
s'agit ici de partir de l'observation du monde (du cosmos, d'où le
nom d'argument cosmologique) pour en déduire l'existence de Dieu. Pour les philosophes athéniens, l'existence d'un être suprême, infini et parfait dans toutes ses caractéristiques est nécessaire à l'existence du monde et de la raison humaine.
Dans
sa Somme théologique, Thomas d'Aquin propose trois variantes
de cet argument :
La voie par le mouvement : Tout, dans l'Univers, est en
mouvement (c'est-à-dire, en termes philosophiques, tout change,
rien ne reste éternellement identique). Or, tout ce qui est en
mouvement est forcément mû par autre chose, il n'y a pas de
mouvement sans moteur. Il est donc nécessaire qu'il y ait un
premier moteur qui soit le moteur de toute chose.
La voie par la cause : Tout ce qui existe a forcément une
cause. En remontant arrière la chaîne de cause à effet, il
est donc nécessaire qu'il y ait une cause première qui soit la
cause de tout.
La voie par la contingence : Tout, dans le monde, a un
commencement et une fin, donc la possibilité d'exister et de
ne pas exister. Par conséquent, puisque ces choses existent
alors que leur existence n'est pas nécessaire, il doit y avoir
quelque chose qui les fait exister.
Cette
cause première, ce moteur premier, cette nécessité première,
c'est Dieu. Une réponse facile à cet argument serait : « Dieu
a créé le monde mais... qui a créé Dieu ? » Quelle est
la cause de cette cause première, le moteur de ce moteur premier ?
En réalité, cette question est un non-sens : d'après les lois
de la logique, tout ce qui a un commencement a une cause ; tout
ce qui est en mouvement a un moteur ; tout ce qui n'est pas
nécessaire a quelque chose qui le fait exister. Ce qui est éternel,
qui a toujours été et sera toujours, n'a pas de cause puisque rien
ne l'a amené à l'existence ; ce qui n'est pas en mouvement,
qui reste éternellement identique, n'a pas besoin de moteur ;
ce qui est nécessaire, qui existe par lui-même, n'a besoin de rien
pour le faire exister. D'ailleurs, puisqu'elle est la cause de
tout et qu'il n'y avait rien avant elle qui puisse en être la cause,
la cause première doit forcément ne pas avoir elle-même de cause.
La
forme la plus simple de l'argument cosmique, et aussi la plus célèbre
et la plus âprement étudiée aujourd'hui, nous vient du penseur
musulman soufi Al-Ghazâli. Il s'agit de l'argument dit du kalam :
« Tout ce qui a commencé à exister a une cause. Or,
l'Univers a commencé à exister. Donc, l'Univers a une cause. »
L'argument moral
La
présentation la plus célèbre de l'argument moral pour l'existence
de Dieu se trouve dans le roman Les
frères Karamazov, de
l'écrivain russe Féodor Dostoïevski, dans lequel un des
personnages s'interroge : « Mais alors, que
deviendra l’homme, sans Dieu et sans immortalité ? Tout est
permis, par conséquent, tout est licite ? »
Cet
argument se résume au raisonnement suivant : si Dieu
n'existe pas, les valeurs morales objectives n'existent pas ;
or, les valeurs morales objectives existent ; donc, Dieu doit
exister.
Cet
argument ne vaut évidemment que si on part du fait que le bien et le
mal sont des valeurs absolues. On pourrait répondre en défendant
une morale purement sociale, dont le seul but serait de garantir le
bon fonctionnement de la vie en communauté. Dans ce cas, cette
morale varierait en fonction des époques et des cultures, selon
l'organisation différente des sociétés humaines, et il
n'existerait aucune morale universelle. C'est là que ce raisonnement
pose problème : imaginons par exemple si les nazis avaient
gagné la Seconde Guerre Mondiale, réalisé leur but d'extermination
de tous les Juifs et endoctriné la totalité de la population
mondiale ; dans ce cas, avec une morale culturaliste, la Shoah
serait moralement bonne dans cette société ! Si, au contraire,
la morale est absolue, alors même dans une telle société la Shoah
restera moralement mauvaise, en dépit du fait que l'humanité
entière la considérerait comme moralement bonne.
Les autres arguments :
En plus des quatre principaux arguments théistes (ontologique,
téléologique, cosmologique et moral), d'autres arguments moins
connus ont été proposés. En voici quelques-uns :
L'argument
historique :
L'homme est par nature trop anxieux pour développer de
lui-même sa créativité et trop égocentrique pour s'orienter de
lui-même vers une société organisée ; s'il y est parvenu
c'est qu'il y a donc forcément une force extérieure à lui-même
qui l'a guidé. Cette idée était répandue surtout dans les
sociétés antiques pré-grecques.
L'argument de l'absolu : Une chose, une action, n'est bonne ou
mauvaise que par rapport à une échelle de valeurs donnée. Or,
pour que cette échelle puisse mesurer objectivement le bien et le
mal, il faut qu'elle ait une valeur maximale. Donc, il y a forcément
un Bien absolu. (Le même raisonnement marche aussi avec les notions
de Vrai et de Beau.) Cet argument est tiré de la Somme théologique de Thomas d'Aquin.
L'argument
spatio-temporel : C'est
une variante intéressante de l'argument cosmologique, très utilisé
dans la pensée islamique. L'espace et le temps ayant tous les deux
eu un commencement, ils doivent avoir une cause. Or, puisque
l'espace-temps n'existaient pas avant leur création, leur créateur
doit être extérieur à l'espace et au temps, infini et éternel.
L'argument du
consensus universel : Le fait que toutes les civilisations
du monde, même celles qui n'avaient aucune relation entre elles,
ont en commun l'idée du divin sous diverses formes, prouvent qu'une
forme de divin doit exister réellement. Cet argument a été émis
par Cicéron ; il est faible car s'agit d'un argument de la
tradition, une forme d'argument d'autorité.
L'argument de la limite de la connaissance humaine : La
conscience humaine est limitée ; donc il doit forcément
exister autre chose qui dépasse sa conscience. L'auteur de cet
argument est Kant.
L'argument pragmatique : Le fait que, même
sans preuve empirique préalable, l'acceptation de l'existence de
Dieu et des conséquences qui en découlent (efficacité de la
prière notamment) fonctionne dans la vie du croyant, est la preuve
que ce que ce croyant croit est vrai. Ce raisonnement vient du
philosophe et psychologue américain William James.
L'argument anthropique : Nous, humains, sommes des êtres
personnels (c'est-à-dire conscients, rationnels, moraux, aimants,
etc.), donc la nature dont nous sommes issus doit également avoir
pour origine un être personnel ; sinon, ce serait comme si la
nature donnait vie à un poisson alors que l'eau n'existe pas.
L'auteur de cet argument est le Dr Gregory Boyd, un pasteur et
apologète évangélique contemporain.
Un dernier pour la
route
Un
dernier argument, peu connu mais qui me plaît beaucoup
personnellement : celui développé par
C.S Lewis, professeur de
littérature à l'Université d'Oxford pendant la 1° moitié du XX°
Siècle, passé de l'athéisme au théisme puis au christianisme et
devenu après sa conversion un des auteurs chrétiens les plus
réputés de son époque. Des prémisses de cette idée se trouvent déjà chez Augustin et Pascal, dans leur célèbre formule disant qu'
« il y a dans le coeur de tout homme un vide en forme de Dieu. »
Au
début de sa carrière universitaire, Lewis
était athée. Pourtant, il a toujours gardé une profonde soif de
spiritualité, qui se manifestait surtout par sa passion pour les
mythologies antiques, soif que sa vision du monde athée et
matérialiste ne parvenait pas à satisfaire. Or, la nature est ainsi
faite que tout besoin naturel peut être assouvi de façon
naturelle : la nourriture répond à la faim ; l'eau à la
soif ; etc. Aucun désir n'existe sans que l'assouvissement n'en
soit possible. Il en est finalement venu à la conclusion, qui a été
une étape importante dans son cheminement intellectuel vers le
théisme, que puisque
son besoin de spiritualité ne peut être comblé par le monde
matériel, c'est qu'il doit exister une réalité au-delà du
matériel qui soit en mesure de l'assouvir.
Je cite sa conclusion en ses propres mots : « Si
je découvre en moi un désir qu’aucune expérience dans ce monde
ne peut satisfaire, l’explication la plus probable est que j’ai
été fait pour un autre monde. »
Et alors ?!
Pour
conclure, je poserais tout simplement la question : à quoi a
servi cet article ? Quel est l'intérêt de tels arguments ?
Aucun d'entre eux ne prouve l'existence de Dieu de façon absolue ;
dans le cas contraire, il n'y aurait plus la liberté de croire qui
est si vitale à tout croyant. Quid du
pari de Pascal ?
D'ailleurs, bien peu d'athées n'ont jamais été
convaincu de l'existence de Dieu uniquement par de tels arguments (un exemple où c'était le cas est celui du philosophe britannique Antony Flew, un des plus importants penseurs athées militants de son époque qui, en 2004, a déclaré adhérer à présent au déisme aristotélicien). Et puis
de toute façon, la foi chrétienne, c'est beaucoup plus que de
croire seulement en l'existence de Dieu.
Je
pense tout de même que sans être décisifs, ces arguments ont leur
intérêt : ils ne peuvent pas, dans l'absolu, prouver que Dieu
existe ; mais ils peuvent servir à défendre la crédibilité
de la foi en montrant qu'il est cohérent de le croire. Qui sait,
peut-être que l'un ou l'autre de mes lecteurs sera amené à
réfléchir par mon article et qu'il se posera plus sérieusement
cette question essentielle : et si c'était vrai ?