mercredi 23 mai 2012

Egypte : Ces Coptes qui comptent après la Révolution

Bonjour à tous !

Aujourd'hui a lieu le premier tour de l'élection présidentielle égyptienne, la première depuis la chute du dictateur Moubarak et aussi la première vraiment (bien qu'encore imparfaitement) démocratique de l'histoire du pays. Les principaux candidats sont l'ex-Secrétaire Général de la Ligue Arabe Amr Moussa, l'islamiste et ex-Frère Musulman Abdel Moneim Abou El-Foutouh et l'ex-militaire Ahmed Shafik. Dans les milieux chrétiens occidentaux, ces élections inquiètent et on met volontiers en avant notamment l'hostilité d'Amr Moussa aux accords de paix entre l'Egypte et Israël et l'appartenance encore récente d'El-Foutouh aux Frères Musulmans... mais c'est oublier par exemple qu'Amr Moussa, bien que musulman, a manifesté à plusieurs reprises de la sympathie pour la communauté chrétienne du pays et a participé à un culte de Noël dans une église évangélique copte du Caire, ou encore qu'El-Foutouh a été le tout premier membre important des Frères Musulmans à remettre en cause la position officielle de la confrérie sur la peine de mort pour les apostats en affirmant que tout musulman devait être libre de quitter l'islam. D'accord : je ne mets ici en avant que les infos positives et il est possible que ces gestes et déclarations soient purement électoralistes... mais au moins ça change d'autres qui se focalisent sur le négatif !

Dans un article précédent publié à l'occasion des législatives, je vous présente Rafiq Habib, un chrétien évangélique copte qui a une position pour le moins surprenante : vice-Président du parti politique des Frères Musulmans ! Aujourd'hui, je vous propose aujourd'hui de faire connaissance avec quelques autres chrétiens Coptes qui pourraient jouer un rôle important sur la scène politique et dans la société civile égyptienne après la Révolution. Plus de 70% des chrétiens ont voté aux élections législatives, un chiffre largement supérieur à la moyenne nationale, preuve que les chrétiens ne sont pas intimidés par la montée des islamistes et comptent bien rester engagés dans la société et défendre leurs droits ! Il y a d'ailleurs eu plusieurs Coptes élus.

Voici donc un petit tour d'horizon. Bien sûr, j'ignore ce que signifie leur identité chrétienne pour chacune de ces personnes, si elle représente simplement un élément de leur culture ou une source d'inspiration intellectuelle ou s'il s'agit d'une foi profonde et vivante. Toutefois, qu'ils soient eux-mêmes chrétiens au sens biblique du terme ou non, les valeurs morales qui mènent leur engagement public sont inspirées (entre autres) de leur compréhension du message chrétien et c'est à cela que je veux m'intéresser.

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Boutros Boutros-Ghali :
L'ex-Secrétaire général de l'ONU a aujourd'hui 89 ans, mais il reste une voix influente et respectée en Egypte. Francophone, docteur en droit international et diplômé de Sciences-Po Paris, il a enseigné dans plusieurs prestigieuses universités égyptiennes, américaines et européennes. Ministre des Affaires Etrangères sous la présidence d'Anwar Sadat, il a participé aux négociations pour le traîté de paix de 1979 entre l'Egypte et Israël. Son mandat à l'ONU, de 1991 à 1996, a été marqué par le génocide rwandais et la désintégration de la Yougoslavie, crises graves pour lesquelles il s'est efforcé de trouver des solutions pacifiques (malheureusement avec un succès limité). Par la suite, il est devenu Secrétaire général de la Francophonie de 1997 à 2002, puis depuis 2003, directeur du Conseil National Egyptien des Droits de l'Homme. Ses partisans comme ses critiques se souviennent de lui comme d'un diplomate soucieux de la construction de la paix et peu enclin aux politiques partisanes.

La famille Sawiris :
Il s'agit de la famille la plus aisée en Egypte : le plus jeune frère, Nassef, est l'homme le plus riche d'Egypte avec une fortune de 4,75 milliards de dollars, le frère aîné Naguib est la deuxième fortune du pays (2,9 milliards de dollars), le père Onsi occupe à 81 ans la 3° place (2,6 milliards de dollars) et le frère cadet vient un peu derrière à la 8° place et une fortune de 560 millions. Le père a créé Orascom, le plus grand groupe industriel égyptien, dont les fils se partagent aujourd'hui les trois filiales. Les Sawiris représentent les nouveaux entrepreneurs égyptiens qui veulent créer de l'emploi en Egypte et développer l'économie nationale en l'ouvrant à la loi du marché. En même temps, ils investissent aussi généreusement dans des organismes d'aide humanitaire.
La famille Sawiris est membre engagée de l'Eglise orthodoxe copte, mais en même temps elle est aussi proche des milieux évangéliques égyptiens et les trois frères ont d'ailleurs fait leurs études au lycée évangélique allemand du Caire. Est-ce une simple coïncidence que la première famille de milliardaires du pays soit issue de la communauté chrétienne, ou est-ce une réminiscence des vieux liens établis par Max Weber entre protestantisme, esprit d'entreprise et libéralisme économique ? Je n'ai pas assez approfondi le sujet pour le dire, mais le fait que les Sawiris non seulement affichent leur foi chrétienne comme très importante dans leur vie, mais de plus entretiennent des liens étroits avec les évangéliques égyptiens et occidentaux, me paraît assez intéressant pour être noté.
L'un des trois frères Sawiris joue aussi un rôle important dans la vie politique égyptienne, c'est pourquoi je vais m'intéresser à lui tout de suite.

Naguib Sawiris :
L'aîné des frères Sawiris a hérité du secteur télécommunications du groupe créé par son père. En 1998, il lance le principal opérateur de téléphonie mobile en Egypte. Entrepreneur ambitieux, il fait parler de lui en lançant en 2008  le tout premier opérateur en... Corée du Nord, le pays le plus fermé au monde ! Il est un des rares entrepreneurs égyptiens à n'avoir jamais entretenu de liens occultes avec le régime Moubarak et est respecté des révolutionnaires à cause de son hostilité à la corruption.
Mais depuis la Révolution égyptienne, Naguib délaisse son entreprise pour se consacrer à la politique et contribuer à la formation de l'Egypte de demain. Au lendemain de la fuite de Moubarak, son rôle important dans la société civile égyptienne lui permet d'être choisi comme membres du "Conseil des Sages", chargé de négocier avec l'armée une issue pacifique à la crise et la transition démocratique vers un régime civil élu. Au sein de ce conseil, il se dit favorable à une évolution progressive du système en place vers la démocratie, ce qu'il justifie par le risque de récupération islamiste de la Révolution en cas de changement radical. L'avenir lui a donné raison...

Alors que le pays se prépare aux législatives, Naguib crée un nouveau parti politique : le Parti des Egyptiens Libres, d'inspiration démocrate et libérale à la fois sur les plans politique et économique. Aux législatives, ce parti forme la coalition du Bloc Egyptien avec d'autres partis libéraux et sociaux-démocrates hostiles aux islamistes et attachés à la laïcité et à un Etat civil. L'alliance obtiendra 34 sièges (dont 15 pour le PEL lui-même), soit 9% du total, ce qui en fait la seconde force d'opposition laïque au Parlement, après les nationalistes d'Al-Wafd. Naguib n'a pas été lui-même candidat aux législatives.

Mounir Abdel Nour :
Voici un homme au parcours profondément original : issu d'une vieille famille de riches propriétaires terriens coptes, il est devenu avec un parti d'opposition un des deux seuls députés coptes élus du dernier Parlement sous Moubarak (sachant qu'il y en avait d'autres nommés directement par le chef d'Etat), avant d'être nommé après la Révolution Ministre issu de l'opposition dans le gouvernement de transition, à un secteur d'une importance capitale en Egypte : le tourisme. 
Chez les Abdel Nour, la politique, c'est une affaire de famille : cela fait plusieurs générations qu'ils militent dans le mythique parti Wafd, symbole de la lutte anticolonialiste dans les années 20. Le grand-père, Fakhry, était une figure importante de la Révolution égyptienne de 1919 par laquelle l'Egypte a arraché son indépendance au Royaume-Uni et a été emprisonné deux fois par les autorités coloniales. Par la suite, élu député avec Al-Wafd, il devient un fervent défenseur des fellahs (petits paysans) et meurt en 1942 en plein hémicycle. Depuis, toute la famille est restée politiquement engagée. L'enfance de Mounir Abdel Nour est donc marquée par les discussions politiques incessantes et souvent virulentes entre ses parents et ses oncles.
Mais avec l'avènement du Président Nasser et les politiques socialistes de celui-ci, les grands propriétaires terriens égyptiens (donc beaucoup sont des coptes) sont durement touchés par les réformes : leurs terres sont confisquées et ils sont contraints de venir s'installer en ville.
C'est à l'âge de 50 ans que Mounir Abdel Nour cède à son tour aux sirènes familiales de la politique : constatant que les Coptes délaissent la vie politique depuis plus de 40 ans, préférant s'impliquer dans l'économie ou dans les ONG, il décide de changer cela. C'est ainsi qu'il rejoint le nouveau parti Wafd (qui avait été recréé en 1983) dont il devient le Secrétaire général, et est élu député en 2005, puis réélu en 2010. Et même s'il n'était qu'un des deux seuls Coptes élus dans le dernier Parlement avant la Révolution, cela n'a pas refroidi son zèle mais plutôt renforcé sa combativité.
Après la chute de Moubarak, les nouvelles autorités égyptiennes veulent former un gouvernement de transition avec la partition de l'opposition : c'est ainsi que Mounir Abdel Nour est nommé Ministre du Tourisme, un des ministères les plus cruciaux du moment. Alors que l'économie égyptienne est profondément dépendante du secteur touristique, l'insécurité consécutive à la Révolution a fait chuter le nombre de visiteurs de 45% au premier semestre de 2011 et de 35% au deuxième semestre. C'est donc à un des uniques députés coptes du Parlement qu'est confiée la responsabilité de prendre les mesures nécessaires afin de remettre le tourisme égyptien sur les rails. Lourde tache, de laquelle il s'est cependant bien acquitté puisque même si le nombre de visiteurs est encore loin de celui de 2010, un nouvel élan commence cependant à se faire sentir.
Et après la transition ? Mounir Abdel Nour est Secrétaire général d'Al-Wafd, qui est devenu avec 38 élus le principal parti laïc au Parlement, soutient Amr Moussa aux préidentielles et se définit aujourd'hui comme démocrate, nationaliste et pour un libéralisme économique modéré. Alors que son parti a examiné la possibilité d'une alliance avec le PLJ des Frères Musulmans aux élections, Abdel Nour s'y est fermement opposé, une prise de position qui a certainement été pour beaucoup dans le choix final du parti de quitter cette alliance et de réaffirmer son attachement à la laïcité et à un Etat civil non religieux.


Emad Gad : 
Faisons à présent connaissance avec un des députés coptes élus dans le nouveau Parlement. Emad Gad est un avocat, membre prominent du Parti Social-Démocrate Egyptien (un des partis membres du Bloc Egyptien, cf paragraphe sur Naguib Sawiris) et élu député avec ce parti dans la circonscription Nord du Caire. Farouche défenseur de la démocratie et de la laïcité, virulent dénonciateur des abus de pouvoir de l'armée et des islamistes, il est le nouveau visage politique de ces chrétiens coptes qui refusent de se laisser intimider par la montée des islamistes et par la victoire des Frères Musulmans aux législatives, mais qui continuent de lutter pour défendre leurs droits.

Youssef Sidhom :
Son père, Anton Sidhom, est le fondateur de Watani ("patrie" en arabe), le seul média d'information copte en Egypte (en arabe, français et anglais). Youssef Sidhom lui a succédé en tant que rédacteur en chef. Sa position de journaliste influent lui permet de s'exprimer publiquement pour ceux qui n'ont pas de voix et de prendre position sur des sujets polémiques, comme par exemple les conversions de musulmans au christianisme.

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