vendredi 4 mars 2011

Pakistan : assassinat de Shahwaz Bhatti

As salaamo alaikum ! (Bonjour en ourdou, langue du Pakistan, on note la ressemblance avec l'arabe).

Pourquoi je vous salue en ourdou aujourd'hui ? Parce que, comme vous l'avez peux-être appris aux annonces, un événement tragique pour le Pakistan, surtout sa communauté chrétienne, a eu lieu dans ce pays cette semaine : la mort de Shahwaz Bhatti (cf photo), Ministre des Minorités et seul chrétien (seul non-musulman même) membre du gouvernement pakistanais, assassiné par des islamistes qui lui en voulait en raison de sa lutte contre la loi anti-blasphème en vigueur au Pakistan. Ce meurtre a eu lieu mardi dernier, le 2 mars, alors à l'occasion de la mort de celui qui a été ces dernières années le plus grand défenseur des chrétiens pakistanais, j'ai voulu écrire un article pour rappeler la triste situation des chrétiens dans ce pays.

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Pour comprendre ce que vivent les chrétiens pakistanais aujourd'hui, il faut remonter à la naissance de l'État du Pakistan. Lors de l'indépendance de l'Inde en 1947, la communauté musulmane du pays qui craignait que les musulmans soient discriminés dans le nouvel Etat à majorité hindoue a insisté pour la création d'un Etat séparé pour les musulmans : c'est ainsi qu'est le Pakistan. A l'Ouest, l'ex-Pakistan oriental a pris à son tour son indépendance en 1971, devenant l'actuel Bangladesh. Depuis son indépendance, le Pakistan a connu une histoire turbulente de gouvernements civils inefficaces et corrompus, dictatures militaires et guerres avec l'Inde voisine. Et surtout, une montée permanente des mouvements islamistes violents, notamment les célèbres Talibans, qui sont pour la plupart des Pachtounes, une ethnie dont le territoire est partagé entre le Pakistan et l'Afghanistan.

Pourtant, il y a une grande communauté chrétienne au Pakistan. Ils seraient entre 3 et 4,5 millions selon les sources, soit entre 1,5 et 2,5 de la population pakistanaise (même si évidemment seule une minorité d'entre eux prennent leur foi au sérieux). Ils constituent donc la plus grande minorité religieuse du pays, devant les hindous, les sikhs et les animistes. Seulement, leur influence dans la société pakistanaine est nettement plus faible que leur nombre, parce que dans le passé l'Eglise a grandi surtout parmi les classes sociales les plus pauvres, essentiellement les hindous de caste inférieure. La grande majorité des chrétiens le sont depuis plusieurs générations, et presque tous les convertis sont d'un arrière-plan non musulman (essentiellement des animistes des petites minorités ethniques). Les chrétiens d'origine musulmane, eux, sont beaucoup moins nombreux et hésitent à faire connaître leur foi à cause des risques. Pour ces raisons, les chrétiens sont à la fois souvent pauvres et culturellement isolés de la majorité musulmane, et sont donc particulièrement vulnérables aux discriminations, aux injustices et aux violences.

C'est pour cela qu'en 2011, le Pakistan est à la 11° place de l'Index de Persécution émise tous les ans par l'ONG Portes Ouvertes, qui travaille à aider les chrétiens persécutés. D'après Portes Ouvertes, au moins 29 chrétiens ont été tués en 2010, 58 enlevés, une centaine agressés et 4 autres condamnés pour blasphème.

Le plus gros problème auquel font face les chrétiens au Pakistan est la fameuse loi anti-blasphème, qui punit de prison ou de mort toute "remarque dérogatoire" à l'encontre du Prophète de l'islam. Cette loi profondément injuste sert de plus de prétexte à toutes sortes de règlements de comptes et d'abus. La majorité des personnes qui ont été accusées de blasphème d'après cette loi sont musulmanes, mais elle sert aussi, et de plus en plus souvent, de prétexte aux islamistes pour s'en prendre aux chrétiens. Souvent, une simple accusation de blasphème provoque des émeutes et des représailles avant même que les tribunaux n'aient le temps d'enquêter. Pour l'instant, personne n'a encore été exécutée à cause de cette loi (du moins légalement, parce que souvent ce sont les islamistes qui s'en chargent avant que la justice n'ait le temps de le faire), mais pour la première fois, fin 2010, Asia Bibi (cf photo), une femme chrétienne, a été condamnée à mort par pendaison, ce qui a valu au Pakistan des condamnations de toute la communauté internationale. Sans doute à cause de la pression internationale, Asia Bibi reste emprisonnée mais n'a toujours pas été exécutée. De nombreuses initiatives ont été lancées afin de la sauver.

Shahbaz Bhatti, le Ministre assassiné, était une des principales personnalités
publiques à s'opposer à cette loi injuste, et c'est sans doute la principale raison de son assassinat. Né dans une famille chrétienne de Lahore, Shahbaz Bhatti était lui-même un chrétien convaincu et une des personnalités chrétiennes pakistanaises les plus connues des dernières décennies. Il s'est battu pendant 25 ans pour défendre les chrétiens pakistanais contre cette loi et les autres injustices desquelles ils sont victimes. En 2008, après la démission du dictateur Pervez Musharraf et la formation d'un nouveau gouvernement (relativement) démocratique, c'est donc tout naturellement qu'il a été choisi pour être Ministre des Drois des Minorités, un nouveau ministère qu'il est le premier à occuper. Il était le seul chrétien membre de ce gouvernement. Là encore, en tant que Ministre, il a beaucoup fait pour aider les chrétiens pakistanais, même si certains lui ont reproché d'être trop absorbé par le système (sans doute vrai, mais malheureusement inévitable, et s'il n'avait pas accepté ce poste il n'aurait jamais pu obtenir tous les changements qu'il a obtenus). Il était très souvent menacé, mais il persévérait malgré le danger pour lui, et il répétait souvent qu'il puisant dans sa foi la force pour continuer. Avec l'affaire Asia Bibi, le Ministre est devenu le plus fervent défenseur de cette femme injustement condamnée à mort... et c'est ce qui lui a valu d'être lui-même assassiné. Début janvier, le gouverneur de la province pakistanaise du Punjab Salmaan Taseer, qui bien que musulman s'était lui aussi opposé à la loi anti-blasphème, avait déjà été assassiné. Ce nouveau meurtre de l'unique Ministre pakistanais non-musulman montre une fois de plus le danger que courent tous ceux qui s'opposent à l'islamiste radical au Pakistan. Il apparaît de plus en plus clairement à quel point les milices islamistes sont puissantes dans ce pays, et que même le gouvernement est incapable de les combattre. Et ça, c'est évidemment très très mauvais signe pour l'avenir des chrétiens pakistanais.

En conclusion, je vous propose de signer une pétition contre la loi anti-blasphème au Pakistan.

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